Voici un texte d'Anaïs Lotte-Psychologue clinicienne-2010-Cabinet ParisPsy, qui articulent la crainte de l'effondrement, la violence et l'adolescence.
LA CRAINTE DE L’EFFONDREMENT ET LA VIOLENCE A L’ADOLESCENCE
La crainte de l’effondrement et ses liens avec l’agir violent à l’adolescence Dans La crainte de l'effondrement, Winnicott met en évidence un type d'angoisse particulière observé lors de son expérience clinique auprès de certains patients: des angoisses permanentes d’effondrement. Ces angoisses archaïques concernent l’effondrement de la structure du moi et se traduisent par une peur de l’annihilation. En effet, chez ces patients le moi se trouve menacé de désorganisation face aux expériences agonistiques primaires car il n'a pas pu se constituer défensivement contre la faillite de l'environnement. Ainsi, selon Winnicott cet effondrement a déjà eu lieu mais à une période où le moi était trop faible et trop immature pour l’éprouver et l’expérimenter sans en être détruit. Le travail d’intégration de ces expériences primitives, nécessite l’entremise symbolisante de l’environnement, et ainsi, la présence d’une mère suffisamment bonne, contenante et étayante, pour que se produise le travail de transformation de ces expériences, alors irreprésentables pour l’enfant. La crainte de l'effondrement est donc liée à une faillite de l’organisation défensive envers ce vécu précoce que le moi n’a pu intérioriser et dont il n’a pu garder la trace sous forme de souvenir. L’effondrement originel constitue alors un traumatisme psychique sans lieu, ni temporalité. Par ailleurs, les affects ont été clivés puisque, même sans contenu mnésique, il reste chez le patient un espoir que cet effondrement puisse être un jour vécu. R. Roussillon dans Agonie, clivage et symbolisation (1999), a particulièrement bien décrit ce clivage où le Moi s’ampute d’une expérience traumatique, qui n’est pas intégrée dans la subjectivité. Les « traces » du trauma ont alors tendance à faire retour, en provoquant des manifestations symptomatiques telles que les somatisations, hallucinations ou encore les passages à l’acte violents à l’adolescence. En effet, chez certains adolescents violents, il est possible de constater la menace narcissique singulière que constitue le rapport à l’objet. Une mise en péril narcissique sous tendue par la crainte d’un effondrement identitaire. Un tel type d’angoisse révèle non seulement la présence de cette menace interne, issue du clivage entre préservation du lien objectal et sauvegarde de l’intégrité narcissique, mais aussi la résurgence d’une expérience traumatique infantile n’ayant pu s’inscrire psychiquement.
A- Crainte de l’effondrement et violence :aspects développementaux
La violence est aux sources de la vie psychique. Néanmoins, lorsque le travail de la psyché est entravé dans sa fonction symbolisante, cette violence peut parfois s’avérer particulièrement destructrice et traumatique. Ainsi, Winnicott souligne que la qualité du développement moïque dépend essentiellement de la qualité adaptative des réponses de l'environnement aux besoins de l'enfant. Si la mère offre une adaptation suffisamment bonne aux besoins de l'enfant, le développement de ce dernier ne sera que peu perturbé, entravé, par les réactions de l'enfant aux empiètements de l'environnement. L'organisation première du Moi est directement liée aux angoisses primitives d'annihilation, qui appartiennent au développement de tout individu. Si la qualité adaptative de l'environnement est suffisante, le Moi ne succombera pas à la menace d'annihilation et y survivra. Des expériences de confiance dans la guérison, qui vont permettre au Moi de s'adapter à la frustration. En revanche, une défaillance précoce de la fonction maternelle aura pour effet l’impact traumatique de ces vécus agonistiques, ainsi que l'interruption du continuum de vie chez l'enfant. En effet, comme le souligne Winnicott, le Moi auxiliaire de la mère a une fonction de soutien car le Moi de l'enfant est encore trop immature pour pouvoir intégrer psychiquement des expériences primitives telles que le vécu agonique:"l'intégration du Moi n'est pas en mesure d'englober quelque chose. Le moi est trop immature pour rassembler tous les phénomènes dans le champ de la toute puissance personnelle". Consécutivement à ces éprouvés primitifs, toute défaillance de l'adaptation maternelle aux besoins de l'enfant dans les premiers temps de la vie constituera une menace contre l'existence personnelle du Self. Or, le Self réfère au sentiment d’exister subjectif de l’individu, puisque ce dernier est formé du moi distinct du non-moi. Winnicott considère le sentiment d’être réel comme à la base de ce sentiment d’être soi. Le Self existe à l’état potentiel dès la naissance et dans un environnement suffisamment bon il se développe harmonieusement, en Self total, en une personne capable de distinguer le moi du non-moi. Winnicott considère le moi comme un aspect du Self qui a pour fonction d’organiser et d’intégrer l’expérience. Dans ce contexte développemental, le défaut de limites suffisamment fiables et sécurisantes pour le sujet, ainsi que l’interruption de sa continuité d’être, soutiennent non seulement l’effraction traumatique de la séduction précoce, mais aussi la non-inscription psychique des angoisses primitives. En outre, lorsque l’accordage est insuffisant, que la mère échoue dans sa fonction pare-excitante, la violence se manifeste dans le psychisme de l’enfant comme une série d’expérience vécues, mais non constituées comme expériences du moi. Ces expériences en raison non seulement, de l’importante quantité d’excitation y étant associée, mais aussi du défaut de transformation et d’étayage, se constituent alors en traumatismes. Parallèlement, cette violence que l’enfant n’a pu transformer le déborde et se cristallise sous forme de menace narcissique interne, d’angoisse d’’effondrement permanente.
B- Le traumatisme inhérent au processus pubertaire
L’adolescence est une période où cette non-expérience précoce pourra potentiellement faire résurgence, puisque l’adolescence est en soi un mouvement psychique violent et traumatique. En effet, François Marty dans l’illégitime violence, considère la violence agie ou manifeste comme la manifestation d’une autre violence : celle du processus pubertaire. L’auteur met ainsi en évidence l’aspect traumatique de l’irruption effractante de la sexualité génitale, en lien avec la sexuation du corps à l’adolescence. L’ensemble du processus adolescent implique cette violence pubertaire. F. Marty se réfère à la théorie de Laplanche sur la séduction généralisée et considère un traumatisme généralisé. Ainsi, il n’y a pas de vie psychique sans confrontation au traumatisme, ni sans violence. La vie psychique entière s’origine dans ce mouvement pulsionnel issu du traumatisme, qui va conduire à la recherche de satisfaction de cette pulsionnalité. La satisfaction de cette énergie psychique peut s’effectuer de deux manières, comme le décrit Freud : la satisfaction directe dans la mise en acte (la décharge motrice), où la transformation par le biais des processus de pensées (refoulement, symbolisation, sublimation, représentation). Ce nécessaire traumatique du pubertaire met à défaut la pensée, de façon transitoire ou permanente selon les individus. L’adolescence constitue donc une période sensible, concernant la résurgence symptomatique d’expériences traumatiques primitives, n’ayant pas été intégrées psychiquement. Par ailleurs, d’un point de vue économique, il est nécessaire de souligner la difficulté à lier l’agressivité issue du traumatisme et libido, conduisant ainsi à des mouvements haineux interne susceptibles d’être projetés sur le monde extérieur. Une violence agie qui, projetée sur le monde extérieur n’a pu être transformée ou sublimée. Il faut aussi considérer que l’adolescent n’est pas en mesure d’intégrer spontanément cette violence du pubertaire, de ce fait le recours à l’agir peut s’avérer nécessaire avant de pouvoir intégrer cette violence psychiquement et la transformer. Ainsi, lorsque l’enfant n’a pu transformer cette violence originaire, constituée en trauma sans inscription psychique, il est aux prises avec une menace interne saillante, envahit par l’angoisse. En outre, l’adolescent est nécessairement confronté à ce type d’expériences menaçantes, issues de la teneur traumatique du processus pubertaire. A l’adolescence, le trauma ou la non-expérience passée va faire résurgence, en écho à l’expérience traumatique présente. Il est question de l’actualité du traumatisme qui fait résonance à la non-expérience, au traumatisme s’étant antérieurement produit chez le sujet. L’expérience aux sources du trauma ne s’est pas inscrite sur le plan psychique, ainsi la menace interne, l’angoisse et la répétition signent la non-expérience. Ces expériences seront alors vécues par le sujet comme des causes de son angoisse, et la réalité externe éprouvée comme menaçante, voire source de destruction identitaire. La violence peut alors être envisagée comme une réponse potentiellement défensive face à un sentiment profond de menace. Dans la perspective traumatique du processus adolescent, la projection est massive, le sujet a le sentiment d’être agi de l’extérieur comme de l’intérieur, d’être victime d’une attaque et dans un retournement actif, agit pour ne pas être agit. Le recours à l’acte tend donc à lutter contre le sentiment de passivité et d’impuissance, ceci par un mouvement de contre investissement et de projection sur le monde externe. Une attaque projective qui peut être envisagée comme une « auto-défense », une défense narcissique contre le traumatisme de l’effraction pubertaire. Dans ce contexte, la violence peut être pensée comme une défense vitale, non seulement contre la menace que représente l’objet, mais aussi contre l’angoisse d’effondrement identitaire, voire d’annihilation concernant les passages à l’acte meurtriers.
C- Le rôle du recours à l’agir violent au regard de la crainte de l’effondrement
1. Une constitution de limites
L’adolescent, selon P. Jeammet, passe à l’acte pour rétablir des limites entre soi et l’autre, des limites se rapportant au sentiment d’identité. Le passage à l’acte violent tend donc à se protéger narcissiquement, au moment où le sujet ressent le rapproché avec l‘autre comme menaçant. Le passage à l’acte aurait une valeur positive, puisqu’il induirait non seulement la reconnaissance de l’autre comme différent, mais aussi un désir de rapprocher avec autrui chez le sujet. Il s’agirait d’une tentative de lien. Ainsi, La violence témoignerait de la présence du lien objectal. Par ailleurs, certains auteurs envisagent la violence sur un versant positif. Ainsi, lorsque Annie Birraux (2004) évoque la « bonne violence », J. Bergeret (1984) considère « la violence fondamentale ». Avec le concept de violence fondamentale J. Bergeret considère la violence comme un instinct de vie, un instinct narcissique naturel et inné. Une pulsion vitale présente chez tout individu et soutenant le mouvement du développement: une tension vers la satisfaction des besoins et des désirs. J. Bergeret considère la violence comme « le narcissisme à l’état pur ». En effet, la violence est conçue comme un instinct de conservation, une défense narcissique visant à préserver l’intégrité narcissique, moïque, voire identitaire de l’individu. L’individu violent se défend donc d’une frustration narcissique ou d’un traumatisme. L’agir violent trouve origine dans les frustrations narcissiques et traumatismes affectifs, psychiques et physiques issus de l‘enfance et de l‘adolescence. Du point de vue de la fonction maternelle, quand la violence échoue à être transformée, cela peut conduire à des agir violents dans la suite du développement de l’enfant, particulièrement à l‘adolescence où le risque de recours à l‘acte est accentué.
2. Une forme de pré-symbolisation
Conjointement, il est intéressant de penser la violence traumatique et de réfléchir aux conditions de sa symbolisation. En effet, le recours à l’acte constitue un symptôme porteur du traumatisme de la séduction, pouvant parfois être envisagé comme une tentative de symbolisation. La violence qui lui est faite tient à cette expérience de débordement d’une pulsionnalité excitante qui pousse à agir pour s’y soustraire ou réduire les tensions. La symbolisation passe de l’excitation pulsionnelle à la psychisation. Ainsi, Philippe Jeammet (1989), dans son article Les assises narcissiques de la symbolisation considère le recours défensif à l’agir, en lien avec une difficulté de psychisation du conflit. En effet, l’adolescence, en tant que période de remaniements narcissiques majeurs, est susceptible d’engendrer, chez des individus aux assises narcissiques fragiles, un antagonisme entre relation objectale et sauvegarde du narcissisme du sujet. Une telle conflictualité peut amener à une désymbolisation des éléments du conflit et conduire au recours défensif à des conduites agies. La pensée se trouve être entravée, puisque la symbolisation implique de pouvoir concevoir conjointement, ce qui lie et ce qui sépare l’objet symbolisé du symbole. Ceci suppose une capacité claire de différenciation sujet-objet, que ces sujets ne possèdent pas, aux vues de la défaillance des assises narcissiques. P. Jeammet ne postule donc pas une difficulté à lier, mais une impossibilité se traduisant par un antagonisme, un clivage mettant en jeu l’intégrité narcissique du sujet. Conjointement à F. Marty, qui envisage la conduite agie comme le mouvement projectif de mauvais objets internes dans le passage à l’acte, l’auteur conçoit également le recours à l’agir comme une modalité défensive, mais aussi comme une tentative de figuration corporelle. Malgré cette forme de pré-symbolisation, l’agir reste une perte de sens massive car il privilégie le recours à la décharge pulsionnelle et le recours aux processus primaires au détriment des processus secondaires indispensables au travail de la pensée. Dans une perspective traumatique, le recours à l’agir peut être envisagé comme une modalité défensive visant à figurer, représenter, voire pré-symboliser le traumatisme originel sans inscription, ni trace. A l’instar, certains auteurs dont Greencare considèrent le passage à l’acte violent à l’adolescence comme une façon de réactualiser un traumatisme refoulé et ainsi de relier le présent de l’adolescent à ce passé traumatique. Greencare considère le traumatisme comme inscrit, et envisage ainsi l’agir comme un message véhiculé par la réactualisation d’un souvenir traumatique. Néanmoins, ce qui est réactualisé sur la scène adolescente avec l’impact traumatique du pubertaire est une atteinte ayant déjà eu lieu. La violence exprimée par le sujet est en réalité cette violence originaire irreprésentable, que le sujet a dû occulter pour ne pas être détruit. Par le biais du clivage, cet évènement ne s’est pas inscrit psychiquement et ne possède pas de trace sous forme de souvenirs. Comme les soutient Winnicott, la crainte de l’effondrement est issue d’une agonie originelle que le moi ne peut faire entrer dans sa propre expérience du temps présent. Si l’expérience initiale n’a pas été éprouvée comme telle au départ, la source de l’angoisse n’est pas reconnue, et cette expérience deviendra à la fois redoutée et compulsivement recherchée, dans la crainte d’un effondrement à venir. La non-inscription psychique, engendre la contrainte de répétition, la crainte d’un effondrement à venir. Le patient s’organisera alors défensivement contre cette angoisse.
3. Une tentative d’existence
Claude Ballier (2005) a travaillé sur la question des passages à l’acte violents et ultra violents. Il considère qu’au moment du passage à l’acte ultra violent, pouvant conduire au meurtre, le sujet se trouve dans un moment psychotique, il est en rupture avec la réalité. De plus, il y a un déni de l’altérité, l’autre est un prolongement de soi en écho à des projections massives. Le passage à l’acte est alors un moyen de sauvegarder l’identité et l’intégrité physique et psychique du sujet. Une défense narcissique ultime face à l’intensité de la menace d’effondrement identitaire, voire d’annihilation. Par ailleurs, concernant le passage à l’acte violent, l’objet devient menaçant par le désir de rapproché qu’il induit chez le sujet. En effet, C. Ballier se reporte à la théorie de l’incestuel de P. Racammier. Un climat incestuel issu d’une situation de rapproché psychique, qui indifférencie les générations. La confusion est centrale dans la sphère familiale et concerne les places, rôles et états affectifs de chacun. La présence d’un climat incestuel a souvent pour effet l’impossible séparation avec la mère et les objets d’amour œdipiens. La notion d’incestuel renvoie chez ces sujets à la description faite par Winnicott dans La crainte de l’effondrement, d’un Self ou le moi et le non moi ne sont pas suffisamment différenciés. Un défaut dans la constitution des limites issu de la fonction pare-excitante de la mère défaillante, une insuffisance de la fonction maternelle aux sources du traumatisme initial de la séduction précoce. La violence traumatique de la séduction précoce, ainsi que l’étayage maternel insuffisant, ont pour effet de faire impasse et entrave au processus de subjectivation, particulièrement au moment de l’adolescence. En outre, le passage à l’acte violent peut être considéré comme une tentative d’exister dans un élan vital. Le sujet tente de se séparer pour préserver son intégrité narcissique.
D- Le paradigme du crime adolescent
1. Un moment de désubjectivation, une tentative de séparation
Le crime adolescent apparaît comme paradigmatique de l’aspect désubjectivant impliqué dans le passage à l’acte violent à l’adolescence. Ainsi, les recherches auprès des adolescents criminels conduisent à envisager de tels passages à l’acte comme une forme de défense identitaire. Le passage à l’acte meurtrier serait alors un moment de désubjectivation temporaire (Y. Morhain & A. Roussillon, 2009) où la prégnance de l’angoisse d’effondrement conduirait à la mise en place de défenses ultimes. Ainsi, la défense principale se situe dans la projection massive d’une destructivité psychiquement débordante, effractante et vise l’annihilation de l’objet dans sa différence, à sa désubjectivation. A l’instar, selon Philippe Bessoles (2005), Le crime adolescent serait une tentative de séparation, un passage à l’acte faisant écho à l’indifférenciation et la confusion soi/autrui à l’œuvre sur la scène psychique. Un éprouvé archaïque dont l’origine se situe dans un défaut de « mélancolisation » de la relation fusionnelle primitive à la mère. D’après M. Mahler le passage à l’acte criminel chez l’adolescent serait en effet issu d’une relation primitive pathologique réactivée par le processus adolescent. De plus, l’auteur soutient que l’impasse du processus de séparation/individuation serait liée à un défaut d’élaboration de la position dépressive. En effet, le passage à l’acte criminel renvoie alors à un mouvement régressif vers des positions schizo/paranoïdes au sens kleinien, teinté de toute puissance infantile. Les mécanismes de projection massive présents chez ces adolescents lors du passage à l’acte en témoignent. En outre, la réactivation de la problématique de séparation inhérente au processus adolescent réactualise des angoisses de type archaïques. Le défaut d’accession à l’angoisse de castration et d’élaboration de la perte, faisant résurgence lors du processus adolescent immerge le sujet dans une impuissance infantile « Hilflosichgkeit » et un éprouvé de détresse intense. L’agir violent serait alors une tentative d’existence, un acte de « survivance » (Altounian, 2000) face à ces angoisses de type symbiotique qui menacent le sentiment de continuité d’être. Ces angoisses de type symbiotique peuvent être assimilées aux angoisses d’effondrement décrites par D. Winnicott.
2. Un mécanisme de dégagement des angoisses d’anéantissement
Ces adolescents de trouvent donc être constamment à la limite d’une menace d’effondrement, les limites sont défaillantes et leurs angoisses archaïques d’abandon et d’intrusion s’avèrent inélaborables. Ainsi, Philippe Bessoles (2005) introduit également le principe de « calmance » pour comprendre l’acte criminel adolescent comme un apaisement de ces angoisses d’effondrement identitaire. Les conduites auto-calmantes sont des stratégies anti-traumatiques s’apparentant aux bercements usités par certaines mères pour apaiser ou endormir leur enfant. Concernant le passage à l’acte hétéro-agressif violent chez les adolescents, la « calmance » tend à assurer une continuité d’exister au sujet en un mouvement de régression vers un narcissisme primaire. Ces conduites sont à penser, en lien avec le trauma précoce et l’entrave faite au sentiment de continuité d’être, à la subjectivité. Il s’agit donc de maintenir le vécu de toute puissance infantile, et l’existence d’un Idéal du Moi primaire. Le non-choix de la victime, anonyme ou « objet non-objet » (Racamier, 1992) témoigne des enjeux narcissiques sous-tendant le passage à l’acte. Le fait que la subjectivité de la victime ne soit pas prise en compte permet que l’acte soit au service du narcissisme de l’individu. Par ailleurs, ces adolescents (Y. Morhain & A. Roussillon, 2009) ont été antérieurement confrontés à des expériences traumatiques. Ces traumatismes primaires sont issus d’un défaut de transformation et d’élaboration, de symbolisation de ces évènements. Les traumas restent irreprésentables, se répètent et s’actualisent dans le présent. Ces adolescents sont aliénés dans la fixation à un trauma initial, celui de la séduction précoce, qui les contraints à répéter et signe la désintrication pulsionnelle à l’œuvre. Face à cet état de détresse intense, le crime adolescent serait une tentative de subjectivation et d’individualisation (P. Gutton, 2001). Le passage à l’acte violent est un mécanisme de dégagement (comme en témoigne l’aspect calmant et soulageant de l’acte criminel) de la passivité, et de l’état de dépendance absolue de l’enfant soumis à l’emprise des soins maternels dans la relation primitive. Un éprouvé de passivation (Green, 1982) réactivé par le processus pubertaire. Le crime est un retournement actif de la passivation (Gutton, 2001). De plus, selon l’auteur la période adolescente permettrait une réparation de la relation primitive, une guérison de la séduction généralisée. L’ « archaïque pubertaire » permettrait de modifier l’aspect narcissique de la relation primordiale. Conjointement l’échec d’une possible réparation serait susceptible de conduire à la criminalité chez l’adolescent. En effet, l’aspect pathologique de la relation archaïque à la mère serait issu d’une défaillance de la fonction maternelle de pare-excitation. La mère serait trop excitante, omniprésente et intrusive. Une emprise chosifiant pour l’enfant qui ne peut alors avoir accès à ses désirs propres et ainsi accéder à la subjectivation. Les atteintes faites à l’enveloppe corporelle chez certains adolescents, telles que les scarifications et automutilations témoignent de cette intrusion et de la défaillance de la relation mère-bébé. Le crime peut alors être pensé comme un mécanisme de dégagement de cette emprise maternelle archaïque, de la séduction précoce.
3. Une « pathologie du négatif »
J.B Pontalis dans sa préface de Jeu et réalité, souligne l’importance du vide et du négatif chez Winnicott : "l'impensable fait le pensé. Ce qui n'a pas été vécu, éprouvé, ce qui échappe à toute possibilité de mémorisation est au cœur de l'être", une notion qui sera reprise ensuite par André Green (1993), avec le thème de l’absent. Ce type de passage à l’acte adolescent s’inscrit dans la « pathologie du négatif » décrite par l’auteur, qui se base sur la notion d’ »hallucination négative » décrite par S. Freud (1895). L’hallucination négative concerne des traumatismes précoces non élaborés. Dans la pathologie du négatif, la négation de ce qui fait trauma est maintenue par le recours à des modalités défensives, qui tendent au contre investissement de cette élaboration. Le crime adolescent est assimilable à un moment psychotique où l’hallucination négative tend à maintenir un clivage entre le sujet et le monde externe. Cette défense témoigne et protège, conjointement, de la menace d'anéantissement et des expériences de dépersonnalisation. A l’instar, dans La crainte de l'effondrement, Winnicott évoque donc un traumatisme qui n'a pas pu être intégré, car il s'est produit à une époque ou dans un état où le sujet n'existait pas, où l'expérience ne pouvait pas être recueillie dans un présent identifiable comme tel. Il parle aussi du traumatisme négatif par carence d'une expérience qui aurait dû se réaliser. L'effondrement, nous dit-il "remontent au temps qui précédait l'avènement de la maturité nécessaire pour en faire l'épreuve. Pour le comprendre, ce n'est pas au traumatisme qu'il faut penser, mais au fait que là où quelque chose aurait pu être bénéfique, rien ne s'est produit. Il est plus facile pour un patient de se souvenir d'un traumatisme que de se souvenir que rien ne s'est produit à la place de quelque chose." Ainsi, certains sujets, tant qu'ils n'ont pas réussi à se représenter l'expérience traumatique dans leur propre psyché, sont en proie à une compulsion de répétition qui s’apparente à une appétence traumatique.
Conclusion
Ces traumatismes précoces irreprésentables ne peuvent s’exprimer, le plus souvent, autrement que par l'agir, ou l'hallucination psychotique qui vient combler le trou dans le psychisme. Il s’agit de donner forme à une carence de représentation de l'originaire. La résurgence de l’angoisse, et du trauma au moment de l’adolescence peut alors être envisagé comme une possibilité de réparation. Certes, le vécu traumatique reste désorganisateur et menaçant pour l’intégrité moïque, mais dans le contexte adolescent, il peut être le moyen d’élaborer l’expérience psychique qui n’a pu l’être antérieurement. A l’instar, Christian Delourmel dans un article critique sur “ La crainte de l’effondrement et autres situations cliniques ” situe également l’effondrement au cœur du paradoxe Winnicottien. Puisque cette compulsion de répétition mortifère du traumatisme que représente la quête d’une crainte d’effondrement est aussi portée par l’espoir d’une rencontre avec l’objet, d’une expérience dont dépendra l’émergence d’une potentialité psychique.