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Quelques Textes en hommage à Jean Oury. Merci Monique :

 

Jean Oury, celui qui faisait sourire les schizophrènes

JEAN-FRANÇOIS REY PROFESSEUR DE PHILOSOPHIE HONORAIRE 21 MAI 2014 À 17:34

                         

TRIBUNE Le psychiatre et psychanalyste, fondateur de la psychothérapie institutionnelle, est mort le 15 mai, dans sa clinique de La Borde.

 

Il n’avait jamais raccroché : à 90 ans Jean Oury nous a quittés. Brutalement, malgré la vraisemblance ou l’imminence de son décès. Cette manière de se tenir debout, un peu voûté, était devenue familière : il aurait pu tenir encore dix ans ! Jean Oury (1924 – 2014) était le dernier vivant d’une grande aventure qui avait pour épicentre la clinique de La Borde qu’il avait fondée en 1953. Retracer ici la généalogie de la psychothérapie institutionnelle dont il fut, avec d’autres et après eux, le fondateur, tout comme son frère Fernand le fit pour la pédagogie, ce serait écrire l’histoire de plus d’un demi-siècle de luttes contre l’enfermement, de désaliénation, en même temps que d’échanges, de polémiques, de croisements féconds avec la psychanalyse (Lacan indéfectiblement), la psychiatrie existentielle ou anthropologique (Jacques Schotte), la philosophie (Henri Maldiney, Gilles Deleuze), sans compter la coopération, parfois orageuse, avec Félix Guattari.

Quels sont les axiomes que la psychothérapie institutionnelle a su dégager et formaliser ? En quoi nous importent-ils encore aujourd’hui ?

Le postulat de base est pragmatique : quand on veut soigner des patients, accueillis ou pire enfermés dans un établissement (hôpital, clinique, CMP), on doit d’abord soigner l’institution elle-même. Cette prise en compte des entours, de l’ambiance, des effets de l’institution sur l’humeur et donc le potentiel thérapeutique de la clinique, Jean Oury l’appelait «pathoplastie», à partir du radical «pathique» qui désigne le «sentir», le «sens des sens», à la fois passivité et création, couches du psychisme que les tendances actuellement dominantes en psychiatrie ignorent délibérément. Pour soigner les agités, il fallait soigner les quartiers d’agités. Quand on les eut supprimés, il y avait déjà beaucoup moins d’agités !

Corollaire de l’action sur la pathoplastie, est le sentiment de liberté que l’on éprouve, malgré l’errance, dans la libre circulation, car celle-ci est indispensable à la rencontre, maître mot de cette psychiatrie. Rencontre des patients avec tel ou tel «soignant», au détour d’un chemin, d’une salle, d’une réunion ou d’un atelier. «Programmer le hasard» est à la formule qui explicite le mieux cet attachement à la rencontre.

Parler de psychothérapie institutionnelle revient à parler de la clinique de La Borde, même si elle n’est pas la seule à la mettre en pratique. A La Borde on accueille essentiellement des personnes psychotiques, au corps comme au psychisme dissociés. Favoriser le transfert, au sens freudien, de ces patients sur l’institution, consiste à leur permettre d’élire tel personnage (ce peut être le cuisinier), tel lieu (le poulailler) voire tel animal : l’âne de La Borde en a vu d’autres ! Pour qu’il y ait transfert dissocié, il faut que la fonction soignante déborde du cadre et des statuts desdits soignants (psychiatres, psychologues, infirmiers, moniteurs, etc.) La fonction soignante peut être partagée avec les patients volontaires pour aider tel ou tel autre patient qui traverse un moment difficile. Ces regroupements éphémères s’appellent «constellations» (transférentielles). Pour qu’elles existent, il faut renoncer à s’accrocher à son statut. La hiérarchie n’est plus disciplinaire ou statutaire, mais subjective.

Tout ceci peut sembler vague pour les non familiers, de l’histoire ancienne pour ceux qui jugent ces pratiques peu scientifiques, voire utopiques, en tout cas incompatibles avec le managériat qui est survalorisé aujourd’hui. N’a-t-on pas voulu, pour des normes d’hygiène, fermer la cuisine aux patients qui élisent ce lieu quotidien, dont un cuisinier originaire de Côte d’Ivoire est à l’origine d’une extension de la clinique dans son pays ? Tout ceci ne s’est pas fait en un jour, mais surtout ne doit pas disparaître. Or le procès qu’on fait parfois à La Borde et à Jean Oury (qu’on traita même de «dinosaure mélancolique»), est ancien : recrutement de malades, refuge de marginaux, maison de retraite pour vieux gauchistes, voire pire ! Le reproche de garder les malades aussi longtemps, alors que la mode est au séjour court et aux thérapies brèves, a valu cette remarque de Jean Oury : «Travailler dix ans pour obtenir un sourire d’un schizophrène, ce n’est pas rien !»

Jean Oury venait d’un «arrière-pays» fait d’usines (Hispano-Suiza), de banlieues et de militantisme. Il recommandait toujours de lire l’histoire du POUM de Victor Alba, puisque la guerre d’Espagne qu’avait vécue François Tosquelles, le maître en la matière, a toujours été une référence : le «bref été de l’anarchie» convient toujours à l’histoire d’un établissement ouvert au public le jour de la mort de Staline ! Ce vieil anar que j’appellerai toujours comme les La Bordiens, «le docteur Oury», a prouvé qu’il pouvait rester debout jusqu’au bout. A 90 ans il était encore sur le pont : une semaine avant son décès il animait encore des stages. C’est cette silhouette un peu voûtée, ce froncement des sourcils, cette expression de soucieuse sollicitude avec laquelle il accueillait chacun au seuil de son bureau-univers, que je veux saluer aujourd’hui. Avec la difficile tâche de continuer après lui.

 

Jean Oury, fou de fous

ERIC FAVEREAU 27 JUIN 1998 À 04:36 PORTRAIT

Jean Oury, 74 ans, psychiatre, n'a jamais cessé, de Saint-Alban à La Borde, de vouloir soigner l'hôpital pour soigner les malades. [Portrait de Jean Oury publié en juin 1998 dans Libération] «Qu'est-ce que je fous là?» se demande le psychiatre Jean Oury. Comme chaque année, il est revenu à l'hôpital de Saint-Alban, la Mecque de la psychothérapie institutionnelle, mais, ce jour-là, c'est pour un adieu. Dans cette ancienne forteresse perdue en Lozère, pendant la Seconde Guerre mondiale , un petit groupe de psychiatres avait cassé les fenêtres de l'asile. Peu à peu s'était construite la plus formidable des aventures de la psychiatrie d'après-guerre, sur le principe que «soigner les gens sans soigner l'hôpital, c'est de l'imposture». A Saint-Alban on travaillait, on discutait sans fin, avec Eluard qui passait, Tristan Tzara aussi, ou encore le philosophe Canguilhem et, bien sûr, le maître des lieux, François Tosquelles, médecin réfugié de la guerre d'Espagne. «Oui, quoi? Qu'est-ce que je fous là? Saint-Alban, c'est foutu». A la mi-juin, s'y sont tenues les dernières journées de ce mouvement. Fin des rencontres annuelles. On a cassé l'autel, plié les souvenirs. L'hôpital de Saint-Alban ressemble désormais à n'importe quel autre hôpital psychiatrique. Et Jean Oury se donne des raisons de ne pas répondre à sa question fétiche: «C'est quand même la moindre des choses de ne pas embarrasser les autres avec ses propres fantasmes. On ne va pas les emmerder avec nos emmerdements. Dans les familles, c'est effrayant la pathologie que ca développe, de ne pas pouvoir faire ce travail là, d'être toujours encombré. Comme en chirurgie, c'est l'asepsie.» Alors, on se lave les mains, on entre doucement. Grande figure de la psychiatrie française, Jean Oury n'a pourtant rien d'un grand prêtre. C'est un roc, plutôt. Qui ne parle jamais de lui, toujours des autres. Et quels autres! C'est un défilé: bien sûr, Jacques Lacan qu'il a suivi pendant trente ans, Felix Guattari l'ami-analyste-philosophe, Jean Dubuffet le peintre, Antonin Artaud le poète, Gille Deleuze le philosophe, Jean Renoir le cinéaste, et Francois Tosquelles" Des gens qu'il n'a jamais quittés. «Je n'ai pas trahi.» Jean Oury est un homme clair. Il est grand, un peu vieux, un peu voûté. Il fume beaucoup. Il joue du piano quand il a le temps, mais il n'a jamais le temps: «On n'a jamais passé, seul, un Noël en famille», raconte Yannick, sa fille qui ajoute: «Mon père, je le vois comme un jeune homme de 30 ans, il a toujours été comme ça.» «Il a un côté vieil acteur américain», note un psychanalyste. «Mais où en est-il, maintenant, après toutes ces tempêtes?» se demande un philosophe. «Ben, il est là», répond, goguenarde, sa vieille copine Hélène Chaigneau, grande figure elle aussi de ce milieu psychiatrique. «Si j'ai changé, moi? Non. Pourquoi? C'est pathologique, j'ai un coefficient d'instabilité égal à zéro», dit Oury. «Mon père m'a toujours dit ça: "il faut faire comme si on allait vivre mille ans, et être capable en même temps de faire sa valise le jour-même», raconte sa fille. Alors, pour concilier les deux, il s'offre des colères terribles. La plus grosse bien sûr, c'était en mars 1953. Jean Oury, après avoir quitté l'hôpital de Saint-Alban, s'était retrouvé comme médecin chef à Saumery dans le Loir-et-Cher. C'était alors le seul hôpital psychiatrique du département. «Au bout de deux ans, j'ai dit à l'administration qu'il fallait faire des travaux de réaménagement des locaux; et je leur ai donné, comme ça, six mois, un défi bête.» Six mois plus tard, rien. «Alors, je suis parti, mais je voulais voir mon successeur et discuter avec lui.» Celui-ci fait la fine bouche, refuse de discuter. Alors, Oury explose. «Je l'ai pris, et je l'ai mis violemment à la porte. Et je me suis dit, je ne peux pas laisser les malades avec ce type.» Il prévient le Conseil de l'ordre des médecins et, en quelques heures, il décide de partir avec tous ces grands malades (trente-trois; sept malades restant car n'étant pas en état de marcher) sur les routes du Loir-et-Cher. Tous partis comme un bateau fou. A dormir à droite, à gauche dans des hôtels. Trouvant quelques jours refuge dans une maternité. Puis sur les routes. Jean Oury et ses malades ont erré deux semaines. Les infirmiers avec lui. Et, le 3 avril, ils débarquent dans le vieux château en ruine de La Borde, à la Cour Cheverny. Depuis ce coup d'éclat, La Borde est là. Toujours debout, encore aujourd'hui. Un lieu quasi unique en France où plus de 100 malades, ­ la plupart psychotiques ­, vivent. Un lieu transparent, un endroit simplement gentil. «C'est déjà ça d'être gentil avec la folie», disait Guattari. «La Borde? C'est un arrière-pays, un terrain vague», lâche Jean Oury. Pour parler de La Borde, il a presque les mêmes mots que pour évoquer La Garenne dans la banlieue parisienne, ce coin d'enfance où il a vécu avec ses deux frères, son père (ouvrier polisseur) et sa mère qui tenait une petite agence immobilière. «Le terrain vague de La Garenne, c'était cosmopolite, j'y ai tout appris. C'est ce que je disais à Lacan, que j'avais cent ans d'avance sur lui, à cause du terrain vague de La Garenne.» La Borde, c'est donc Oury. Ou bien l'inverse. C'est là, en tout cas, qu'Oury a vu défiler toutes les secousses de la psychiatrie de ces quarante dernières années. Mai 68, entre autres, et l'antipsychiatrie avec qui il n'a pas fait bon ménage. «C'était à côté de la plaque, ça n'a servi à rien, si ce n'est à tout mélanger. De la foutaise...» Et maintenant? Il n'est pas loin de repiquer une de ses grosses colères pour parler d'aujourd'hui: «Il y a une destruction véritable du champ même de la psychiatrie. Ça prend une allure vertigineuse, cela devient impossible d'y travailler. La suppression du diplôme d'infirmier psychiatrique, c'est le plus gros scandale de ce siècle.» Il parle par à-coups, un peu comme Lacan. «La mode des séjours courts, c'est criminel. La schizophrénie, c'est une maladie chronique. La vie, c'est chronique. Ce n'est pas parce que l'on fait sortir quelqu'un qu'il est guéri. Il y a des malades qui ont disparu physiquement, je dis bien physiquement, car ils ne peuvent aller nulle part. C'est ça qui est en jeu.» Mais alors, quoi? Pourquoi cet incroyable mouvement de la psychiatrie de l'après-guerre a-t-il si peu le vent en poupe? Pourquoi ce vide actuel? «Qu'est ce que je fous là?» doit se demander toujours Oury. Les autres sont morts, son maître Tosquelles en 1994, son ami Guattari en 1992. Certes, se maintient un réseau à travers la France de psychiatres ayant les mêmes exigences, mais ils sont silencieux, écrasés par le poids du conformisme et de l'indifférence politique. Jean Oury reste un peu seul. «Il faut que je parle à voix haute On travaille sur quelque chose d'extrêmement complexe, et c'est la moindre honnêteté d'être au niveau. L'exercice de la complexité, c'est comme chez un athlète, il faut s'entraîner. Tout le temps.» Le docteur Oury parle avec sa voix fatiguée, avec ce regard cocasse. Il parle et il regarde. «Un regard, comme disait Lacan, c'est un regard qui se tient. C'est un trou avec des bords. Indispensable, des bords. La pathologie, c'est un trou sans bord. Lacan appelait ça le traumatisme.» La Borde avec ses bords. Et Oury qui se tient. Jean Oury en 6 dates : Mars 1924. Naissance. Septembre 1947. Interne à l'hôpital Saint-Alban. Avril 1953. Fondation de la clinique de La Borde. 1971. Début de son séminaire à La Borde. 1981. Tous les mois, séminaire à Sainte-Anne. Juin 98. Fin des journées de Saint-Alban. FAVEREAU Eric

 

La Borde adoucit la folie depuis cinquante ans

ERIC FAVEREAU 5 AVRIL 2003 À 22:38

Jean Oury dirige cette clinique psychiatrique du Loir-et-Cher à l'histoire et au fonction-nement atypiques. Blois envoyé spécial «Comment ? Tu n'es pas à la retraite? A ton âge... Ils me disent ça, comme à un enfant.» Jean Oury en sourit, ou plutôt il s'en fout. Il est là, il est loin, il est assis dans son bureau, rempli de livres. Et en ce printemps 2003 cela fait cinquante ans qu'il est là. Qu'ils sont là. Cinquante ans qu'il est arrivé avec ses fous, après un périple inédit de quelques semaines en Sologne : il venait alors de claquer la porte de l'hôpital Saumery dans le Loir-et-Cher. Et il est tombé sur ce château en ruine, perdu dans la forêt, qui allait devenir ce lieu inouï de la psychiatrie française : la clinique de La Borde. Classification. Il fait beau, ce jour-là. Quelques résidents sont assis sur les marches du château. Un autre dodeline de la tête en regardant la pelouse. Il y a là plus d'une centaine de malades, «dont plus de 70 % de schizophrènes lourds», comme le dit la classification. L'ambiance à La Borde est toujours unique. C'est un drôle de lieu où, quelles que soient les bizarreries des habitants, on fait attention. On écoute, on s'énerve aussi, mais on n'a pas honte. Dominique est l'une des pensionnaires. Aujourd'hui, elle est «poisson pilote», c'est-à-dire en charge du visiteur pour lui faire visiter la clinique. Dominique a les cheveux bien courts. Elle vient à La Borde depuis vingt ans, mais depuis trois ans elle passe la moitié de la semaine à la clinique, et l'autre dans un appartement à Angers. Elle parle avec une douceur infinie des autres malades : «Lui n'arrête pas de crier. Il hurle tout le temps. Il se fait mal.» Présente L., qui, tous les soirs et cela depuis des années, sort les poubelles et les met à l'entrée du parc. «Il ne veut jamais qu'on l'aide.» A un autre moment, Dominique s'oppose avec précaution mais avec insistance à Jean Oury qui en a marre qu'on laisse le piano, en bas, dans le salon. «Mais on ne peut pas le retirer, dit-elle. C'est très précieux pour Evelyne, c'est sa seule façon d'être avec nous». Puis : «C'est vrai que cela nous casse les oreilles, mais maintenant, elle arrive aussi à jouer un peu pour elle. Non, vraiment, on ne peut pas le retirer.» Plus tard, Dominique a ce joli mot : «Ici, on n'est pas des débiles mentaux, parce qu'on est des pensionnaires. C'est un sacré statut d'être pensionnaire, ici.» C'est ainsi. Et c'est un miracle. Alors que l'univers de la psychiatrie a rarement été aussi fragilisé, alors que la prise en charge de la folie n'a jamais été aussi mal à l'aise dans le cadre borné de la comptabilité publique, La Borde résiste. Mieux, à l'image de son vieux fondateur, elle s'en fout. «Je n'ai pas de projets, je n'ai jamais fait de projets», dit Jean Oury. «Au fond, je ne me suis jamais installé. Je suis là, je ne peux pas dire que je m'y suis fait. Souvent, le soir, quand je sors, qu'il y a un pensionnaire sur le banc, qui délire ; je regarde, j'écoute, étonné, je trouve ça bizarre.» Ajoute : «Pour que cela puisse continuer, il faut y être.» Marie Depussé qui vient d'achever avec Jean Oury un joli livre d'entretiens (1) : «Oury habite La Borde, comme un abbé. Il est tombé sur ce couvent, et il est là, en retraite, lui qui aime tant la vie. Il y a dans son attitude quelque chose à voir avec le schizophrène qui se retire. Une exigence partagée.» Jeux de mots. La Borde a donc cinquante ans. «Tout cela n'existe pas, ironise Jean Oury. En septembre, il y a quelqu'un de l'Assurance maladie qui est venu. C'était, vous savez, pour ces histoires d'accréditations, d'évaluations. On l'a laissé parler. Il m'a demandé comment on marchait. Je lui ai dit : "Mais c'est très simple, c'est aussi simple que de se tenir debout." Et je lui ai dit que si j'appliquais ce qu'il me demandait, je me casserais la gueule.» Des jeux de mots de psy qui dégagent en touche ? Carmen, monitrice (2), a un exemple pour illustrer. «La cuisine ? S'il fallait la mettre aux normes, cela en serait fini, par exemple, des pluches en commun. C'est pourtant essentiel, ici, les pluches. Vous imaginez, ici, avec de la nourriture qui fonctionne en prêt-à-chauffer.» On a compris. La Borde vit sa vie. On est loin de la folie des années 70 où La Borde était devenue un lieu à la mode pour artistes et théoriciens, sous la houlette de Félix Guattari. Jean Oury en garde une blessure évidente. «Vous vous rendez compte, ces imbéciles venaient pour faire de l'animation. Animation, comme si on animait un schizophrène.» Oury qui parle toujours de Félix Guattari : «Parfois, un pensionnaire dit son nom. Et son nom résonne, là, comme dans le paysage.» Et puis il y a eu les années de plomb et de silence. Les années où il a fallu s'habituer à des budgets beaucoup plus serrés. «Notre prix de journée est trois fois moins élevé que dans les hôpitaux.» Des années où la psychiatrie n'était plus à la mode. Il n'empêche, La Borde a continué avec ses règles, avec le club et ses quarantaines d'activités, tous les jours. Avec son standard tenu par les malades. Depuis cinquante ans, plus de 20 000 patients sont passés par La Borde. Une entrée par semaine. Et des patients qui, avec les nouvelles règles en vigueur, ne gardent plus que 2,5 euros par jour de leur pension. «Même pas de quoi s'acheter un paquet de cigarettes», s'énerve Oury. Résistant. Et pourtant, La Borde paraît comme préservée. Sereine, à l'image de Jean Oury. Lui dit qu'il se sent un résistant. On le sent étonnamment détendu, comme si à ce moment de sa vie de militant, il savait bien que l'enjeu est ailleurs, que soigner ou prendre en charge la folie l'installait dans un monde certes bien réel, mais bien loin aussi des contingences de telle ou telle décision politico-administrative. «Regardez, les autorités ont fermé 40 000 lits de psychiatrie. Fermer un lit n'a jamais soigné personne.» On aurait pu croire qu'avec l'âge et la fatigue, le beau château se serait fragilisé. Il n'en est rien. Et comparés à une visite effectuée il y a quinze ans, les locaux sont en bien meilleur état. Comme nourris de ces 50 années passées. «C'est ce que j'appelle la sous-jacence, dit Oury. Dans une comparaison, je dis que nous sommes des jardiniers. Il faut travailler le terrain. La sous-jacence, cela se dépose. Il y a plein de choses qui se déposent, les mythes, les habitudes, les fantasmes. Ça arrive comme cela dans un lieu travaillé par l'histoire, par les événements. Des choses qui se sont passées, ou ne se sont pas passées. Quand quelqu'un arrive, il est rapidement pris sans le savoir dans ce terreau. Mais c'est très fragile. Cela peut être détruit en une matinée.». (1) A quelle heure passe le train, conversations sur la folie : Jean Oury et Marie Depussé, Ed. Calmann-Lévy. (2) Moniteur est le nom que l'on donne aux personnels soignants à La Borde. FAVEREAU Eric

 

Mort du psychiatre Jean Oury, fondateur de la clinique de La Borde ERIC FAVEREAU 16 MAI 2014 À 10:40 DISPARITION

Cette personnalité exceptionnelle de la psychiatrie française avait 90 ans. «Le dernier grand», comme le dit si fortement le docteur Paul Machto. Cette nuit, est mort Jean Oury, dans la clinique qu’il avait fondé, La Borde, près de Blois. Il avait 90 ans. C’était la personnalité la plus exceptionnelle, encore vivante, de l’aventure de la psychothérapie institutionnelle, qui a façonné toute la psychiatrie française au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. En mêlant humanisme, attention clinique, et ouverture, dans la prise en charge de la folie, c’était une approche chaleureuse de la maladie où le patient restait avant tout une personne. «Soigner les malades sans soigner l’hôpital, c'est de la folie», disait Jean Oury. En 1953, il fonda la clinique de La Borde, près de Blois, lieu unique de soins et d’attention. Et jusqu’au dernier jour, il était là, présent, à l’écoute des plus grandes douleurs.

GARATE 16 MAI 2014 À 11:11

Ma très chère amie, Ginette Michaud, qui fut la compagne de tant de projets et fondations, m’apprend la mort de jean Oury, fondateur de La Borde, où se mit en œuvre, comme nulle part ailleurs, l’esprit vivant de la psychothérapie institutionnelle. Tous les deux et longtemps, se sont donnés avec joie et génie, à cette invention quotidienne qui empêche d’en rester aux acquis, d’inaugurer les répétitions, pour recommencer chaque jour la poussée instituante, pour inviter chacun à s’y joindre avec ce qu’il aura de plus vivant à donner, à inventer. Jean Oury est psychanalyste. Le « clin » de la psychanalyse qui maintien ouvert l’accès à l’inconscient; il a la noblesse des plus grands hidalgos, dépouillés de fortune, puisqu’ils sont capables de tout donner, amour, désir, héritage… L’esprit d’un Don Quichotte pèlerin que prônait Unamuno, il en a la stature, il sait s’appuyer sur d’autres, fut-ce au prix d'un Rock and Roll endiablé, pour en capturer la grâce. Lisez son œuvre, « Onze heures du soir à La Borde », pourquoi pas?. Toute son œuvre aussi; Inspirez vous de ce vide brutal qui nous survient, rendez-le créateur : il en va de l’avenir de la psychanalyse. Il ne se joue pas dans les officines de son administration, mais dans le cri de vie qui tranche les ténèbres. Dans le risque pris de la transgression, plutôt que dans la préservation bourgeoise des acquis institutionnels qui structurent la pérennité et « instituent la pourriture » (M. De Certeau). « Il est plus commode de subir l’interdit que d’encourir la castration » (affirmait Lacan à la fin de l’éthique). Jean Oury a inventé, il est resté à jamais instituant, il a démontré que l’institution est la psychanalyse et réciproquement. J’ai de la peine, certes, mais le battement aussi de la vie dans son œuvre. Je m’y plonge, j’y cours, pour que ça reste vif. Ignacio Gárate Martínez Directeur d’Espace Analytique d'Aquitaine

Hommages à Jean Oury.
Tag(s) : #psychothérapie institutionnelle
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